Grèce - Conférence de presse de M. Clément Beaune, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes, et de M. Miltiadis Varvitsiotis, ministre délégué grec aux affaires européennes, à l’issue de leurs entretiens en tête-à-tête - Propos de M. Clément Beaune (Athènes, 18/09/2020)

Monsieur le Ministre, cher Miltiadis,

Je suis très heureux de vous rencontrer pour la première fois après les échanges que nous avons eus informellement par téléphone et par message depuis ma prise de fonction il y a peu, il y a quelques semaines à peine. Et vous l’avez dit, je le pensais important de faire l’un de mes premiers déplacements dans cette nouvelle fonction de ministre des affaires européennes en France, à Chypre puis en Grèce, parce que se joue ici ce que doit être notre conception de l’Union européenne et, à travers la relation entre nos deux pays, vous l’avez dit, ce que nous pensons être aujourd’hui les défis que nous devons relever ensemble.

À Chypre, j’ai eu l’occasion d’en parler avec le Président, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la défense. Je me suis entretenu avant de vous voir avec le Premier ministre Mitsotakis et nous avons continué cet échange pour dire que ce qui réunissait nos deux pays, c’était une conception de l’Europe qui doit s’affirmer comme puissance et qui, pour s’affirmer comme puissance, ne doit pas être faible, ne doit pas être désunie et doit en particulier, en Méditerranée orientale aujourd’hui, mais je crois que cela vaut plus largement, afficher à tout moment sa solidarité, son unité et quand il en est besoin, sa fermeté. Et c’est parfois ce qui a manqué à notre Union européenne, je crois que le président de la République, en échangeant régulièrement sur ce sujet avec le Premier ministre Mitsotakis, a manifesté à tout moment, à travers la solidarité spécifique entre la France et la Grèce, cette conception de l’Europe que nous devons animer ensemble et que, je sais, nous voulons porter ensemble.

Je prendrai trois exemples de cette solidarité parce que cette solidarité ne doit pas être seulement des mots, elle doit s’incarner concrètement dans les défis qui nous occupent et qui nous préoccupent. C’est évidemment le cas, je l’évoquais à l’instant, vous l’avez rappelé, des tensions en Méditerranée orientale. Notre solidarité à l’égard de Chypre, à l’égard de la Grèce, qui sont directement concernées par les provocations inacceptables et multiples de la Turquie, est absolue. Nous l’avons exprimée de différentes manières tout au long de ces dernières semaines par coopération militaire, coopération de défense qui s’est renforcée par les annonces d’acquisition de matériel d’ailleurs, que votre Premier ministre a fait, il y a quelques jours ; par l’exercice conjoint que nous avons organisé en Méditerranée orientale, la France, la Grèce mais aussi l’Italie et Chypre, ces dernières semaines. Et, il y a quelques mois, quand cela a été nécessaire à l’égard de la Turquie à propos des forages, cette solidarité s’est exprimée par des mesures de sanctions. Et puis, par un langage de fermeté qui, je crois, a toujours été clair de la part du président de la République, de la part de la France et de la part de nos deux pays, pour ne pas tolérer des menaces ou des agressions multiples.

Cette solidarité continuera à s’exercer, elle sera l’objet de discussions entre les ministres des affaires étrangères lundi à Bruxelles et puis, entre les chefs d’Etat ou de gouvernement, à nouveau jeudi. La situation peut évoluer. S’il y a des gestes d’apaisement, ce serait une bonne nouvelle, mais toutes les options doivent être sur la table à l’égard de la Turquie en fonction du chemin qu’elle souhaite choisir : continuer vers des agissements brutaux et des provocations ou bien ouvrir le chemin d’un dialogue que je le souhaite, nous le souhaitons, évidemment, et nous ne sommes ni, la Grèce, ni la France, ni Chypre et d’autres partenaires ceux qui souhaitons une escalade, ce ne serait bon pour personne.

Lors d’un Sommet des pays du Sud de l’Union européenne, il y a quelques jours, le président de la République a eu l’occasion, là aussi, de recevoir le Premier ministre Mitsotakis à Ajaccio en Corse, en France. Et ils ont précisé ensemble leurs objectifs : la paix, la sécurité, la stabilité en Méditerranée orientale. C’est ce que nous voulons, mais il faut pouvoir tracer ce dialogue en cessant d’abord les provocations qui sont aujourd’hui organisées à votre destination, à votre encontre ou à l’égard de Chypre.

Cette solidarité elle s’exprime aussi et c’est d’actualité, malheureusement, dans les tensions, les crises migratoires que la Grèce a bien connues. Elle a parfois été trop seule. Et vous avez connu récemment le drame du camp de Moria, à Lesbos, et les difficultés que cela a bien sûr créé pour les migrants eux-mêmes et puis pour la population locale et pour la Grèce dans son ensemble. La France est au rendez-vous de cette solidarité-là aussi par l’accueil de personnes en détresse. Nous sommes prêts à le faire, nous l’avons fait depuis le début de l’année pour environ au total près de 1000 personnes vulnérables ou mineurs. Je crois que cet effort d’urgence et de solidarité est aussi une marque concrète de notre coopération. Nous avons envoyé, je le verrai demain, aussi, du matériel de soutien pour faire face au plus pressé. Je veux saluer non seulement le courage, mais aussi l’efficacité du gouvernement grec ces derniers jours, nous en avons parlé, pour les efforts rapides que vous avez faits, à la fois pour faire face aux situations d’urgence et puis pour trouver des solutions pour l’avenir. Mais, là aussi je veux le dire, nous devons maintenant trouver des solutions pérennes.

Dès la semaine prochaine, la Commission européenne présentera de nouvelles propositions en matière d’asile et de migrations, et nous allons continuer notre discussion ce soir à ce sujet. Nous souhaitons que l’on puisse trouver un mécanisme de solidarité européenne qui ne repose pas seulement sur quelques Etats membres et qui ne soit pas seulement face aux situations d’urgence, mais qui permette d’organiser une vraie solidarité, quand des personnes en besoin de protection, affluent ou arrivent en Grèce ou dans quelques autres pays, cela ne doit pas être une charge pour certains pays européens seulement. Cette solidarité doit s’exprimer, nous y sommes parfaitement engagés. Je crois aussi que nous partageons complétement cette ambition européenne.

Je prends un troisième exemple, il est aussi récent même si nous l’avons un peu oublié parce que les vacances sont passées par là : c’est l’accord européen du mois de juillet, du vingt-et-un juillet sur le Plan de relance économique, face à une crise pandémique majeure, inédite, qui a eu des conséquences économiques extrêmement lourdes pour l’ensemble de nos économies et de nos sociétés. La Grèce et la France et d’autres partenaires ont construit un accord historique au mois de juillet pour trouver un Plan de relance européen qui incarne là-aussi cette solidarité européenne concrète face à la crise et face aux difficultés. Nous en avons parlé, nous continuerons à discuter, nous devons maintenant aller vite pour faire en sorte que cet accord historique devienne une réalité pratique, la plus rapide possible, pour que chacun de nos citoyens voie la solidarité européenne en action.

Nous avons évoqué et nous évoquerons aussi beaucoup d’autres sujets : le Brexit, la politique climatique, la conférence sur l’avenir de l’Europe, qui, je le crois, est plus nécessaire que jamais pour réfléchir ensemble à notre avenir. Et je crois pouvoir dire, même pour les sujets qui n’ont pas encore été évoqués en détail, que nos convergences, nos rapprochements, sont extrêmement forts et qu’au-delà de ces solidarités, nous pensons sur beaucoup de sujets européens, sinon tous, la même chose. Et c’est pour cela que ce déplacement était pour moi, et je crois pour la France et la Grèce, important, pour que nous puissions poursuivre cette coopération exceptionnelle qui réunit nos deux pays, nos deux gouvernements. Pour cela je vous remercie, je me réjouis de continuer notre échange ce soir, et je crois que nous répondrons à quelques-unes de vos questions avant de continuer cette discussion.

Merci encore de votre accueil. Merci.

Q - Sur l’éventualité des sanctions européennes contre la Turquie

R - Nous l’avons dit, je l’ai dit à Chypre ce matin, et je le redis ici : toutes les options sont ouvertes. Toutes les options sont sur la table, parce que nous devons faire preuve d’une grande fermeté. C’est à la Turquie de montrer si elle entend cesser les provocations, faire des gestes d’apaisement et s’ouvrir au dialogue ; ou si elle veut continuer dans une attitude de provocation. Si c’était le cas, nous serions prêts à prendre toutes les mesures nécessaires. Je ne peux pas en préjuger parce qu’il y aura ces discussions des ministres des affaires étrangères lundi. Nous nous retrouverons d’ailleurs mardi à Bruxelles, cher Miltiadis, et il y aura la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement le vingt-quatre et le vingt-cinq, en fin de semaine.

Nous avons toujours été clairs du côté de la France : nous sommes prêts à ouvrir toutes les options, y compris celle des sanctions, en fonction de la situation, et nous l’avons fait dans le passé quand cela a été nécessaire. Mais nous souhaitons toujours laisser une chance et un espace au dialogue, parce que, je l’ai dit, nous ne sommes pas ceux qui créent les tensions. Nous ne sommes pas ceux qui créent les provocations, mais, quand elles existent, nous y répondons avec solidarité, unité, fermeté.

Cette solidarité à l’égard de la Grèce ou de Chypre, la France l’exprimera toujours, parce que ce n’est pas seulement l’affaire d’un, deux ou trois pays, c’est l’affaire de la conception que nous avons de l’Europe. Si nous sommes toujours hésitants, faibles ou désunis, l’Europe ne sera pas sérieusement une puissance en Méditerranée et dans le monde. Être une puissance, ça n’est pas être agressif. C’est défendre ses valeurs et ses intérêts et, en premier lieu, la souveraineté de ses Etats. C’est, à tout moment, par des actions coordonnées, parfois par des actions bilatérales, souvent par des actions européennes évidemment, l’attitude que la France poursuit depuis le début de ces tensions, et que nous continuerons à mettre en oeuvre. Je crois que la Grèce sait pouvoir compter sur notre soutien.

Q - Le secrétaire d’Etat disait que la solidarité cela devait être des actes et pas seulement des mots. Vous évoquiez le chiffre d’un millier environ de demandeurs d’asiles qui pourraient être accueillis par la France. À l’heure actuelle, il y a plusieurs annonces qui ont été faites : 400 demandeurs d’asiles au mois de janvier, 350 mineurs non accompagnés au mois de juin, éventuellement une centaine supplémentaire à la suite de l’incendie de Moria. À ma connaissance, il y a 49 personnes qui pour l’instant ont été accueillies sur ce chiffre-là. Alors, est-ce que vous pourriez revenir peut-être sur le calendrier ?

R - Oui. Les chiffres que vous citez sont corrects sauf qu’il y aura des personnes supplémentaires qui vont arriver très rapidement, qui correspondent aux engagements qui ont été faits précédemment, ou aux engagements nouveaux que nous allons prendre en réponse au drame de Moria. Et je tiens à signaler que l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) est déjà sur place pour effectuer une mission d’identification des personnes qu’ils pourront rapidement prendre en charge en France.

La raison pour laquelle il y a eu un décalage, pour être très concrets, c’est la crise du COVID, qui n’a pas permis le déplacement des missions françaises sur place et la prise en charge, si je puis le dire ainsi, l’accueil, de personnes en situation de difficulté, qu’elles soient mineures ou vulnérables. Ce sont les deux catégories de personnes pour lesquelles la France a pris régulièrement, depuis le début de l’année, en réponse à la sollicitation de la Grèce, et aux échanges qu’ont eu les deux gouvernements, y compris le président de la République et le Premier ministre Mitsotakis. Nous tiendrons ces engagements.

Je rappelle que dans d’autres situations d’urgence, concernant parfois d’autres pays du Sud de l’Europe : l’Italie, Malte, Chypre, quand il y a eu, par exemple, les urgences humanitaires sur les navires, et, on le sait, des sauvetages, la France a toujours été au rendez-vous dans ces situations d’urgence, et nous sommes depuis 2018, sur l’ensemble de ces cas d’urgence humanitaires, le pays avec l’Allemagne, qui, dans les répartitions, a le plus accueilli de personnes. Et non seulement nous avons pris des engagements, mais nous les avons tenus, via notamment l’OFPRA.

Q - Demande de commentaire des récents propos du président turc sur le président de la République, M. Emmanuel Macron.

R - Les choses sont très simples. Nous déplorons aussi l’agressivité ou la rhétorique, mais nous ne voulons pas, du côté des autorités françaises, rentrer dans une surenchère verbale d’une rhétorique agressive. Je crois que cela n’apporte rien. En revanche, nous devons manifester notre fermeté face aux actes sur le terrain, que ce soit des provocations dans les eaux territoriales, que ce soit des menaces de forages illégaux, comme nous en connaissons dans la région, concernant directement Chypre ou la Grèce, ou les deux à la fois. Pour ce type d’actions, qu’on a connues malheureusement à la frontière entre la Turquie et la Grèce de manière organisée en février, pour là aussi provoquer à la fois les Grecs et les Européens.

Toutes ces actions appellent une réponse, de solidarité d’abord avec les pays de l’Union européenne concernés, la Grèce au premier chef, et de fermeté vis-à-vis de la Turquie, le cas échéant. Mais, je crois qu’il n’est pas utile, il serait même contreproductif, de rentrer dans une surenchère verbale qui n’est pas notre approche./.

Dernière mise à jour le : 22 septembre 2020